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6/0 au 1er set : quels sont les facteurs ?

Circuit ATP – matchs en 2 sets gagnants – de 2000 à 2024


En tennis, peu de scores traduisent aussi brutalement l’écart entre deux joueurs que le redoutable 6/0.  

Lorsqu’il se produit au début du match, il constitue une rupture forte dans l’équilibre compétitif d’un match et reflète une domination unilatérale (qu’elle soit tactique, mentale, physique ou contextuelle).

Nous avons vu dans un précédent article (visible ici) qu’un 6/0 au 1er set est un marqueur fort de la dynamique de la rencontre, mais n’est en aucun cas rédhibitoire.

Que nous dit vraiment ce score sur les dynamiques du match ? Est-il simplement le fruit d’un écart de niveau important ou le révélateur d’un enchaînement de facteurs environnementaux ?

Grâce à l’analyse de plus de 50 000 matchs ATP disputés en deux sets gagnants depuis l’an 2000, nous avons tenté de répondre à ces questions, en décryptant l’influence de nombreux facteurs sur la récurrence de ce score.

La surface de jeu

Chaque surface du circuit ATP impose un rythme et des contraintes spécifiques qui influencent directement les conditions de jeu. En voici une présentation rapide.

. La terre battue : surface lente par excellence et exigeante physiquement, elle favorise les longs échanges et un style de jeu tactique, basé sur la patience et les variations.

. Le gazon : surface la plus rapide du circuit, elle favorise les coups gagnants, notamment en cas de service puissant.  Les échanges y sont plus courts que sur les autres surfaces.

. Le dur intérieur et extérieur: c’est la surface principal du circuit ATP. Elle offre un bon compromis au niveau de la vitesse du court en se situant entre la terre battue et le gazon. On joue sur dur en intérieur et en extérieur, le dur intérieur étant une surface rapide où le tennis d’attaque et le service sont rendus plus efficaces en absence de variables tel que le vent, la température, le soleil, etc.

Avec des différences aussi marquées, on s’attend à ce que les résultats soient impactés par la surface.

Et c’est bien le cas, comme le montre le graphique ci-dessus.

. Sur gazon, les jeux de services sont courts et plus efficaces. Il est donc structurellement moins propice à la survenue d’un 6/0, même lorsqu’il existe un écart de niveau important. En effet, un joueur peut toujours remporter un jeu de service en servant bien même s’il est largement dominé dans l’échange. Cela explique que seulement 1,5 % des matchs se soldent par un 6/0 inaugural.

. Sur dur indoor, le jeu offensif est favorisé, avec un ratio élevé d’aces et de points gagnés rapidement. Toutefois, à la différence du gazon, le rebond plus standard et la moindre influence du slice rendent les retours plus abordables. Cela permet, en cas de déséquilibre de niveau, une exploitation tactique plus systématique de faiblesses adverses, d’où une légère hausse des 6/0 au 1er set avec une occurrence de 1,8 %.

. Le dur extérieur introduit des variables météorologiques additionnelles qui peuvent fragiliser la régularité d’un joueur et diminuer l’apport du service. Dans ce contexte, les écarts de niveau se manifestent plus fréquemment, surtout en début de rencontre où certains joueurs peuvent avoir quelques difficultés à s’adapter aux conditions. Cela explique que les 6/0 se produisent plus que sur les surfaces très rapides (gazons et dur indoor) en début de match avec une occurrence de 2% ?

. La terre battue se distingue comme la surface avec le plus haut taux de 6/0 avec 2,8 %. Les échanges sont longs et la dimension physique y est plus marquée. Les écarts de niveau peuvent se creuser plus facilement en cas de mauvais départ et lorsqu’un joueur subit le rythme en début de partie, et le service a une importance nettement moins importante que sur les autres surfaces.

Cette hiérarchie (Terre battue > Dur extérieur > Dur intérieur > Gazon) illustre que plus la surface est lente, plus elle favorise le jeu physique et les rallyes, plus elle augmente la probabilité de 6/0 dans le premier set.

Si l’on s’intéresse à la capacité à remporter un match après la perte d’un 1er set 6/0, les écarts entre surfaces se maintiennent.

La ventilation par surface nous conforte dans notre analyse précédente.

. Sur gazon, moins de 7% des joueurs ayant subi un 6/0 au 1er set réussisse à gagner le match.

Comme nous l’avons vu plus haut, le 6/0 est plus rare. Si ce score se produit, c’est que l’écart est très important et difficilement retournable. C’est un marqueur très fiable d’un déséquilibre structurel, et la remontée est extrêmement improbable sans un effondrement mental du leader.

. Sur terre battue, c’est le contraire, comme le démontre ce taux de remontée victorieuse de 11,5 %. Un changement tactique, une adaptation du schéma de jeu et une meilleure variation des coups permettent d’avantage d’exploiter un éventuel relâchement de l’adversaire.

Le dur se situe encore une fois entre le gazon et la terre battue.

Cette analyse met en lumière une véritable typologie des dynamiques de domination dans le tennis, en fonction de la surface :

. Le gazon pénalise immédiatement toute faiblesse : peu de 6/0, mais ceux-ci sont quasiment irréversibles.

. La terre battue est paradoxale : c’est le royaume des sets à sens unique, mais aussi celui des retours improbables. L’instabilité structurelle y est plus élevée, en partie du fait du jeu en rupture de rythme, du poids de l’échange, et du rôle de l’endurance mentale.

La catégorie du tournoi

Le circuit ATP comprend 3 catégories de tournois (pour rappel, nous analysons ici les matchs en 2 sets gagnant, nous ne parlerons donc pas des tournois du Grand Chelem) :

. Les ATP 250 : catégorie de tournoi la plus fréquente et rapportant 250 points pour le vainqueur. Ce sont les tournois les plus accessibles pour engranger des points et souvent le terrain d’expression des joueurs de milieu de tableau. Les finalistes sont en moyenne classés autour de la 50ème place mondiale.

. Les ATP 500 : le vainqueur empoche 500 points. Certains top joueurs y participent parfois mais cela n’est pas régulier. Les finalistes sont en moyenne classés autour de la 25ème place mondiale.

. Les masters 1000 : le vainqueur du tournoi empoche 1000 points au classement mondial, ce qui en fait une catégorie de tournoi très prisée et les meilleurs joueurs mondiaux y participent. Les finalistes sont en moyenne classés autour de la 10ème place mondiale.

Les catégories de tournois ne présentent pas de variation significative concernant la fréquence des 6/0 au 1er set. Cela s’explique par le fait que des écarts de niveaux peuvent exister dans toutes les catégories de tournoi, quel qu’en soit le prestige.

L’avancement dans le tournoi

L’analyse du déroulement des tournois révèle une tendance nette.

Au 1er tour d’un tournoi, 2,4 % des rencontres disputées connaissent un 6/0 inaugural. Ce taux diminue pour atteindre 2,1 % pour les tours suivants, 1,8 % pour les ¼ de finale et à peine 1,6 % pour les demi-finales et la finale.

Plus on avance dans la compétition, plus les niveaux s’homogénéisent et les rencontres sont disputées et accrochées.

Au moment de la conclusion du tournoi (1/2 finale et finale) les joueurs ont de bonnes capacités de réaction, en témoigne le taux de match allant au 3ème set.

Ces rencontres de fin de tournoi confirment la résistance accrue des joueurs, avec un taux de match allant au 3e set nettement supérieur aux autres stades de la compétition (36% contre 24 % en moyenne).

À ce stade des compétitions, l’asymétrie de performance est souvent moins liée à un écart de niveau intrinsèque qu’à des facteurs conjoncturels (fatigue, retard à l’allumage, etc.).

Le classement des joueurs

Assez logiquement, c’est régulièrement le joueur le mieux classé des 2 qui met une bulle à son adversaire. En effet, près de 7 matchs sur 10 avec un 6/0 dans le 1er set voit le joueur le mieux classé remporté ce set.

Il est intéressant de noter que le classement des joueurs a également une influence sur la possibilité de remporter la rencontre malgré la défaite du 1er set 6/0. En effet, les joueurs mieux classés parviennent à renverser la vapeur 2 fois plus souvent que les joueurs moins bien classés (17,3 % vs 7,5 %).

Ce différentiel suggère que le joueur mieux classé possède une capacité supérieure de résilience, d’analyse tactique et de régulation émotionnelle.

L’évolution temporelle

L’analyse temporelle montre une baisse du nombre de 6/0 au 1er set sur les deux dernières décennies.

Cela peut s’expliquer par le nivellement des performances à haut niveau, conséquence d’une professionnalisation accrue et d’une standardisation des préparations (physiques, mentales, tactiques).

Cela reflète une densification du niveau moyen et une réduction des écarts de départ, rendant les scénarios d’écrasement total de premier set de moins en moins fréquents.


L’analyse multi-variables de la survenue d’un 6/0 dans un premier set, sur plus de deux décennies de matchs ATP disputés en deux manches gagnantes, offre une lecture fine des dynamiques de rupture dans la performance tennistique.

D’abord, les conditions de jeu jouent un rôle central :

. Sur terre battue, surface qui allonge les échanges et accentue la composante physique, le 6/0 s’apparente à une sanction logique d’un déséquilibre initial ;

. À l’inverse, sur gazon ou dur indoor, la rapidité de la surface réduit les opportunités de break répétés, ce qui rend le 6/0 plus rare mais potentiellement plus révélateur d’un écart structurel de niveau ou d’une défaillance complète de l’un des joueurs.

Ensuite, l’analyse contextuelle montre que le moment du tournoi influence l’occurrence d’un tel score : plus le tournoi avance, plus les profils se resserrent en termes de niveau, d’expérience et de résilience. Cela diminue mécaniquement la fréquence des « bulles ».

Côté profil joueur, on constate que :

Le joueur mieux classé initie le 6/0 dans 7 cas sur 10, ce qui semble confirmer le poids du classement comme indicateur de puissance de jeu, d’adaptation stratégique et de résilience car ils ont une plus forte capacité à renverser la situation pour s’imposer.

Enfin, la tendance historique à la baisse du nombre de 6/0 inaugure une hypothèse forte : celle d’un nivellement général des niveaux de performance sur le circuit. Cela peut être vu comme le résultat d’une homogénéisation des méthodes de préparation physique et de profils de joueurs plus complets dès les premiers tours.